La conversion de François Coillard

La conversion de François Coillard
Voici le récit de la conversion de François Coillard, qui devint l’un des plus grands missionnaires français…

 

 

A dix sept ans, le 20 septembre 1851, Coillard entre à l’Institut protestant de Glay (Doubs) pour y compléter ses études. Une des économes de l’Institut qui était dirigé par Mr et Mme Jaquet, était gravement malade et il fallait aller chercher le médecin à deux lieues de là. C’était l’hiver, par une nuit obscure et par un froid intense. Coillard s’offrit et amena le docteur. C’est à cette époque là qu’il fit l’expérience de la conversion et qu’il entendit l’appel pour la Mission, comme il le décrivit lui-même dans son journal intime :

 

 

bigquote Dès lors, je dus souvent faire le trajet, de jour, de nuit, par la neige et le vent. Mais cette digne femme me rappelait ma mère, et pour l’amour de ma mère, que n’aurais-je pas fait ? Un jour on nous appela, on nous dit qu’elle demandait à nous voir. Nous entrâmes tous dans sa grande chambre. Elle nous remercia de ce que nous avions fait pour elle, et nous pressa de nous convertir et de nous donner au service de Dieu. Elle nous demanda aussi de lui chanter un cantique qu’elle chanta avec nous. Cette scène m’émut profondément.

Il y avait dans les paroles de cette « tante » âgée tant de force, quelque chose de si personnel, de si réel, de si persuasif, sur cette figure décharnée par la souffrance, quelque chose de si radieux et de si céleste, sur ce lit de mort, tant de sérénité et de joie, que j’en étais intérieurement bouleversé. Je me sentais en contact avec je ne sais quoi que j’avais déjà senti au lit de mort de ma nièce Charlotte et qui se reflétait dans des vies qui m’avaient commandé le plus profond respect.

Ce quelque chose était un mystère pour moi, bien que j’aie connu la théorie de la conversion; je sentais qu’il me manquait et que, si j’étais moi-même à l’agonie, ce n’est pas la paix et la joie, mais la peur et le désespoir qui s’empareraient de moi. J’étais misérable. Cette scène sublime m’avait fasciné et troublé tout à la fois. J’aurais voulu fuir cette chambre où la mort, ce roi des épouvantements, apparaissait avec tant de charmes, et pourtant je me retirai à pas lents, à regrets, jetant encore un dernier regard sur cette bienheureuse moribonde, si bonne dans sa vie et si belle dans sa mort.

 

 

Elle mourut le 23 juin 1852. Un bon nombre d’amis accoururent des environs, tous endimanchés, et, chantant des cantiques, nous portâmes ses restes mortels et les déposâmes affectueusement dans le petit cimetière de l’Institut, sur le sommet de la montagne. C’était le soir. Le présent aussi, pour moi, était enveloppé des ombres de la nuit, et la gloire du Calvaire ne brillait pas encore à mes yeux.

Toutes ces impressions se fussent probablement effacées peu à peu, comme d’autres, mais le dimanche suivant (le 27 juin), il plut à Dieu d’y mettre son sceau. Ce jour là, si je l’avais osé, je n’aurais pas mis le pied dans la chapelle. J’étais de mauvaise humeur, les chants mêmes m’étaient insupportable, et certes, je n’étais guère disposé à essuyer l’ennui d’un sermon.

A mon grand étonnement, M. Jaquet ne fit pas de sermon. Il se mit à nous lire une petite brochure : « Le froment et la paille », de Ryle. Le titre seul me frappa. Du froment ou de la paille ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Et à chaque période revenait cette question de plus en plus solennellle : « Êtes-vous du froment ou de la paille ? »… J’aurais voulu me boucher les oreilles, j’aurais été content de pouvoir m’endormir, et je fis bien tout ce que je pus. Mais non, mes pensées étaient de plomb, le sommeil me fuyait, aucune distraction ne venait à mon aide, et la question, de plus en plus terrible, venait frapper à coups redoublés à la porte de ma conscience : « Es-tu du froment ou de la paille… ? »

 

 

J’étais malheureux, je maudissais intérieurement ce Ryle, cet inconnu, le perturbateur de ma paix, et ce bon M. Jaquet qui, ne sachant pas prêcher (c’est ainsi que je raisonnais) empruntait les sermons d’un je ne sais qui. Lorsque la lecture fut finie et que la question eut retenti une dernière fois, il me semblait que tous les yeux étaient braqués sur moi. Enfin un chant vint me tirer d’embarras. Je ne pouvais pas chanter, mais je me sentais délivré. « Bon, me dis-je, c’est fini, enfin ! » Je me hâtai de sortir et de me sauver.

Mais la flèche du Seigneur avait pénétré dans mon coeur. Oh ! que j’étais misérable ! Je ne mangeais plus, je ne pouvais pas dormir, je n’étais plus à mes leçons, d’ailleurs mal préparées. On me demandait si j’étais malade, cela m’irritait comme si on se moquait de moi : « Non, je ne suis pas malade ! » et je m’éloignais tout bourru… Dès que nous sortions de classe, je courais me cacher au grenier où je pouvais soulager mon coeur par d’abondantes larmes. Je pleurais, je criais à Dieu, je ne trouvais pas de soulagement. « Tu as beau faire, me suggérait le diable, tu n’es pas du froment, tu n’es que de la paille ! Tes péchés ? Mais jamais Dieu ne te les pardonnera ! Et ton repentir et tes larmes, hypocrisie ! »

J’étais au désespoir. Plus je luttais, plus les ténèbres s’épaississaient autour de moi. Personne, pas même M. Jaquet, ne me venait en aide. Je me cachais au galetas pour chercher dans ma Bible des lumières et des consolations, je n’en trouvais pas. Si je tombais sur les paroles les plus explicites : « Dieu a tant aimé le monde… afin que quiconque croit en Lui ne périsse point; le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu », je me disais : « Qu’est-ce que croire ? Qui me le dira ? Oui, mais ce n’est pas pour toi. Comment puis-je savoir que cela est pour moi, pour moi vraiment ? Mon nom n’y est pas mentionné. Dieu aime les pécheurs, Jésus est venu les sauver, mais pas des pécheurs comme moi. Ce peut être tout le monde, moi excepté. »

 

 

Je marchais de long en large dans ce vaste grenier à peine éclairé. Je me jetais à terre parmi les caisses, entassées pêle-mêle; je criais, quelquefois tout haut dans l’angoisse de mon âme, mais en vain. « Pas de paix pour le méchant, a dit mon Dieu; hypocrisie ! hypocrisie ! insinuait une voix qui me poursuivait; tu ne sens pas tes péchés, tu n’es pas terrassé comme saint Paul et le geôlier de Philippes, tu es trop mauvais pour que Dieu te pardonne et pense même à toi ! » J’étais à bout de force et de courage, je me voyais, je me sentais perdu, oui, perdu. Mon état était affreux.

Poussé par le désespoir qui s’était emparé de moi, je résolus d’aller tout dire à M. Jaquet. Ah ! Combien de fois n’arpentai-je pas le corridor où s’ouvrait son cabinet ! Combien de fois n’avançai-je pas la main pour frapper à la porte ! Un jour pourtant (fin août 1852), j’étais devant cette porte qui m’attirait et que je redoutais. Avais-je réellement frappé ? Je ne le sais pas, mais j’avais déjà lestement tourné les talons quand elle s’ouvrit, et le directeur m’appela. Plus moyen de reculer. Seul avec lui, je lui laissai entrevoir l’état lamentable où j’étais. Le cher et digne homme ! J’oublie tout ce qu’il me dit; il me lut des passages, pria avec moi.

Je ne sortis pas de cette chambre transformé et me réjouissant de la joie de mon salut, hélas, non ! Mais la tendresse de cet homme de Dieu m’avait pénétré et touché. Je me disais : « Il doit savoir, lui, que je suis mauvais, hypocrite; et cependant, il me témoigne tant d’affection, dans ma tristesse ! Dieu serait-Il plus dur que lui ? Une fois la glace brisée, je pris souvent encore le chemin du cabinet de mon vénéré directeur. Il m’avait empoigné le coeur par sa bonté paternelle. Je buvais comme à longs traits ses exhortations.

 

 

Mais ma grande difficulté était que j’aurais voulu savoir ce que c’est que croire. Enfin, je compris que c’était accepter le salut aux conditions de Dieu, c’est à dire sans condition aucune ! Je puis bien le dire : des écailles me tombèrent des yeux. Et quelles écailles ! Je pouvais dire : « J’étais aveugle et maintenant je vois ! » Je n’oublierai jamais le jour, non, le moment, où ce trait de lumière traversa la nuit de mon angoisse. C’était à déjeuner. Croire c’est donc accepter , et accepter sans réserve : « A tous ceux qui l’ont reçu, Il leur a donné le droit d’être faits enfants de Dieu ». C’est évident : « Ô mon Dieu, m’écriai-je dans le fond de mon coeur, je crois !… » Et instantanément, ce fut comme si une voix entendue de moi seul me disait : « Mon fils, va en paix, tes péchés te sont pardonnés ! »

Une paix, une joie que je n’avais jamais connues, se répandirent dans mon âme et l’inondèrent. J’aurais voulu chanter de joie. En sortant du réfectoire, je courus au cabinet de mon père spirituel et déversai la surabondance de ma joie et de mon bonheur. Mme Jaquet vint, nous tombâmes à genoux, ils louèrent Dieu pour moi, je le louai avec eux. Ils m’aimaient déjà comme un fils, je sentis bien que j’avais trouvé en eux un père et une mère, et je leur vouai toute l’affection dont j’étais capable. bigquote2

 

(Source : Editions des Groupes Missionnaires)

 
 
 

« Il faut que vous naissiez de nouveau; si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Evangile de Jean 3: 5-7)

 
 
 

Visitez la page « Lectures recommandées » pour plus d’informations sur son extraordinaire mission; il s’agit d’une auto-biographie, rassemblant tout son courrier personnel.


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